« Presque au même moment, un homme écrivait un livre. Ce fut un grand livre, un livre puissant qui fit peur à beaucoup de gens. Il parlait de la fin de la civilisation et du retour du barbarisme à cause de la surpopulation, de la pénurie des matières premières et de l'effondrement des forces connectées. La plupart des gens se sont énervés car ils avaient peur de faire face à - »
« Et c'est à moi que vous le dites, » marmonna Peter.
« - mais quelques personnes se sont mises à réfléchir. Les affirmations de l'auteur étaient indiscutables, mais ces gens ne voulaient pas assister à la fin de la civilisation. Alors, ils ont commencé à réfléchir à des alternatives. »
« Je l'ai fait aussi et on m'a détesté pour ça. Mes suggestions étaient radicales, mais je faisais face à une situation de crise. Mes plans n'auraient peut-être pas fonctionné, mais ça n'aurait pas pu être pire que ce que nous traversons maintenant. »
Honon haussa les épaules. « A qui le dites-vous. Quoiqu'il en soit, ces personnes ont senti la haine envers vous et ont décidé de travailler en secret. Elles ont informé certaines personnes très influentes, certaines très riches.
« Ça aide toujours. »
« Du coup, ils ont construit un vaisseau spatial - »
Peter en eut le souffle coupé. « Hé, une minute. Je crois que j'ai raté un épisode. C'est quoi cette histoire de vaisseau spatial ? »
« Réfléchissez. Utilisez votre perspicacité. S'il n'y a plus de ressources sur Terre, la civilisation aurait de meilleures chances ailleurs. Où peut-on aller ? Aucune autre planète de notre système solaire est capable d'accueillir une colonie sans technologie pour la maintenir en vie. Cela nous laisse les étoiles, notamment Epsilon Eridani. »
Peter s'apprêta à dire quelque chose lorsqu'une petite fille frappa à la porte du véhicule. Elle avait les cheveux foncés et ne devait pas avoir plus de huit ou neuf ans. « Monsieur Honon, » dit-elle, « J'apporte le dîner pour vous et l'autre monsieur. »
« Merci, Mary. » Honon passa le bras à travers sa vitre et attrapa deux bols.
« Attention, » dit-il à Peter en lui tendant l'un des bols. « C'est chaud. » La petite fille retourna d'où elle était venue.
Le liquide contenu dans les bols sapparentait à un mélange de soupe et de ragoût. Il y avait des pommes de terre, des petits pois, des haricots, des carottes, des pousses de soja et même de petits morceaux de poulet. Cétait presque un vrai buffet, compte tenu des circonstances. Lestomac de Peter criait famine car il navait rien avalé depuis son maigre petit-déjeuner de ce matin. Il accepta la cuillère tendue par Honon et prit une bouchée, savourant le mélange de saveurs. « Vous mangez bien », déclara-t-il.
« Merci. Comme je lai dit, nous essayons de maintenir la civilisation en vie et lun des aspects les plus agréables est la bonne nourriture. Nous faisons ce que nous pouvons pendant quon voyage, mais cest loin dêtre un repas équilibré. »
« Certains tueraient pour ceci. »
Honon soupira. « Oui, je sais. Ils ont déjà tenté plusieurs fois. Voilà pourquoi on utilise des véhicules blindés. De nos jours, voyager ne se fait pas sur un coup de tête. »
Les deux hommes mangèrent en silence pendant un moment, réalisant que leur repas était un véritable trésor dans ce monde où les ressources manquaient. Peter termina en premier et sadossa à son siège, content.
« Merci beaucoup. Cétait le meilleur repas que jai eu depuis des semaines. »
« Vous en voulez encore ? Je peux demander à ce quon vous resserve. »
« Je ne voudrais pas profiter de vos réserves »
« Tout ira bien pendant un temps. Larrière du deuxième camion est rempli de nourriture. »
Peter était très tenté, mais il décida de se retenir. « Je ne veux pas mhabituer à une telle vie. », déclara-t-il. « La situation peut vite changer. »
Honon hocha la tête. « Cest vrai, mais ça ne mempêche pas de bien vivre quand je peux. Quand je menais mon troupeau, jai appris quon survivait pendant les temps difficiles et quon se rattrapait quand ça allait mieux. »
« Vous étiez berger, alors ? »
« Jai été beaucoup de choses à un moment ou à un autre. Bûcheron, chauffeur de camion, garde forestier, aide agricole, couvreur, plongeur. Jaime le changement. »
« Et maintenant, vous menez un cortège. »
« Ouaip. Vous voyez, selon moi, il faut toujours avancer vers quelque chose. Voyager ne suffit pas. Il faut avoir un objectif. »
« Et votre objectif, cest lespace ?
« Pas tout de suite. Dabord, il faut emmener ce groupe au Monastère. »
« Au quoi ? »
« Cest comme ça quon appelle notre petite colonie. Les monastères ont gardé le savoir pendant les premières périodes sombres. Nous avons donc décidé dappeler notre base comme ça. Cela na aucune signification religieuse, je vous assure. Nous sommes tous plutôt tolérants. Il est déjà assez difficile de survivre de nos jours sans devoir faire face à de vieux préjudices. »
« Cela narrête pas la plupart des gens. Lintolérance semble avoir atteint son plus haut point », dit Peter avec amertume.
Honon haussa les épaules. « Je me fiche sils sentretuent. De mon point de vue, on ne peut évoluer quen se débarrassant des intolérants. »
« Où se trouve ce Monastère ? »
« Oh, il est quelque part. » Honon agita la main vers lest. « Je ne peux pas vous en dire plus, jen ai bien peur. Cest un secret et pour de bonnes raisons. Nous vivons trop bien au goût de la plupart des gens. Sils savaient où on se trouve, ils viendraient nous anéantir. Voilà pourquoi je ne peux pas dire aux gens où se rend la caravane. Si on est séparé, ils ne pourront le dire à personne. »
« Mais si vous projetez une colonie interstellaire, vous devez avoir beaucoup de gens. »
« Près de cinq mille, aux dernières nouvelles. »
Peter siffla. « Mais il est impossible de cacher autant de gens. »
« On y arrive, » Honon sourit.
« Mais faire partir autant de gens de la Terre serait un énorme problème en soi. Comment comptez-vous faire ? »
« Pour commencer, tout le monde n'ira pas. Certains sont attachés au vieux monde et nous aimerions essayer de le réhabiliter. Seuls trois mille feront le voyage. »
« Mais les besoins en carburant »
« Lannée dernière, la presse est passée à côté du programme spatial. Elle était occupée avec les guerres, les pénuries et le reste. La propulsion nucléaire permet de soulever un gros poids à moindre coût. Cela na pas été testé sur le terrain, mais les expériences sont très prometteuses. »
« Je ne prétends pas être ingénieur astronautique, mais je me souviens avoir vu un spectacle au planétarium. On y disait quil faudrait des milliers dannées pour atteindre létoile la plus proche. Les colons ne vivront pas aussi longtemps et la nourriture pour trois mille personnes remplirait plusieurs vaisseaux. »
« Ces chiffres se basaient sur une vélocité constante. Le propulseur nucléaire nous donnera une accélération constante un dix millième de « G » pour être exact. Je sais quon ne dirait pas grand-chose, mais laddition est correcte. Selon les dernières estimations, on peut faire le voyage en seulement six cent cinquante ans. »
« Mais même »
« Souvenez-vous de ce que jai dit tout à lheure, concernant la cryogénisation. Les colons seront cryogénisés avant le départ, sauf léquipage du vaisseau. Ils se réveilleront uniquement au moment de latterrissage sur notre nouvelle planète. Cela économisera des vivres et de la place puisque nous naurons pas assez de place pour que toutes ces personnes puissent se déplacer. »