Après cette seconde reprise, elle sonne Mlle Macao, qui nous servait d'eunuque noir, lui arrange ses affaires. Tandis que je me rhabille, la bonne vieille ne tarissait pas sur mon éloge Deux fois, ma chère Deux fois! Oh! ce petit ange-là est un prodige; les autres me faisaient bien venir l'eau à la bouche; mais lui Mets la main là, j'en suis pleine.
Il était quatre heures du matin, je m'approche pour prendre congé; la vieille, en m'embrassant (foutre! ce n'était pas là le plaisant de l'histoire), m'offre deux bourses au lieu d'une et m'accuse qu'elles contiennent deux cents louis, tandis qu'elle n'en donne ordinairement que cent. Non, madame, lui dis-je avec générosité, si j'ai été plus heureux qu'un autre, je n'aspire point à une récompense double; j'accepte le témoignage ordinaire de vos bontés, mais je ne veux m'ôter ni la possibilité de revenir plus souvent, ni à vous celle de contenter un goût qui paraît vous satisfaire. Ma foi! je l'aurais prise au mot. Nigaud, qui ne sais pas que voilà comme on ruine ces bougresses-là A la preuve: transportée, elle tire de son doigt un beau brillant (je l'ai, pardieu! vendu deux mille écus) et le met au mien; alors je me retire avec une permission indéfinie pour toutes les heures du jour et de la nuit, et la consigne de paraître amoureux de Julie, afin de cacher notre intrigue Je fais le difficile; mais la sublime tante me démontre si bien cette nécessité que je me rends pour l'amour d'elle.
Revenu chez moi, dois-je y trouver du repos? Non, Julie Julie, ton image me trouble; je te vois: hélas! Dans cet instant, en proie à des désirs inconnus jusqu'alors, tu m'accuses et tu gémis; moi-même je soupire vile soif de l'or! A quelle horrible divinité me forces-tu de sacrifier du sang! Bien plus encore, c'est la substance la plus pure qui s'épanchera sans fruit sur cet autel odieux Mais ne suis-je pas dédommagé? Où trouverai-je une enfant plus jolie? Julie, que l'amour me peigne dans tes rêves, et que l'attrait d'un songe te prépare au charme de la réalité! Allons, ma valeur, à mon secours, qu'êtes-vous devenue? De l'or, morbleu! de l'or; c'est le nerf de la guerre: front partout; que les feux de l'amour embrasent mon courage, me rendent cette vigueur première qui fit tomber sous le couteau sanglant tant de vierges dans Israël Et toi, Priape, patron des fouteurs! je t'invoque: qu'une ivresse lubrique me saisisse auprès de ma vieille! Je t'offre le sacrifice de toutes ses perfections Qu'elle crève en foutant! c'est un holocauste digne de toi.
On s'imagine bien que la matinée ne se passe pas sans que je me rende chez ma bonne. On m'introduit au petit jour. La fidèle Macao me donne des conseils pour plaire à madame, et je lui sacrifie une parcelle de mon or pour en gagner un monceau. Ma vieille me reçoit avec toutes les grâces possibles Mais, ô surprise! avez-vous jamais vu une pomme qu'on place sur le récipient d'une machine pneumatique? Chaque coup de piston semble lui rendre sa fraîcheur, sa peau ridée devient lisse, et les rayons du jour qui s'y réfléchissent lui donnent un vermeil qu'elle avait perdu Voilà l'état de ma vieille; ses yeux sont dérougis, elle semble soufflée, et si elle avait des cheveux, de la gorge et des dents, elle serait foutable Ma main batifole, un sourire enfantin la ranime quand elle me chasse très sérieusement pour mettre ordre à ses affaires.
Mlle Macao est gouvernante en chef de ma Julie; son nom d'heureux présage n'est point démenti par son caractère; cette fille qui, dans sa jeunesse, a fréquenté les seigneurs dans les lieux où tout est égal, est compatissante pour l'innocence; elle a même fourni à Julie les éléments d'un jeu de mains, badinage renouvelé des grecs, et très utile, même aux françaises.
Somme toute, je lui fais comprendre que Julie est appelée à changer d'état, et je lui prouve par un argument irrésistible que je suis tombé de là-haut tout exprès pour opérer ce grand oeuvre: elle devient donc ma confidente, et j'entre chez Julie, que je trouve à sa toilette.
Ma foi! Je ne sais, mais la timidité me reprend Qu'elle est belle! mon ami De grands cheveux blond cendré, des yeux noirs et bien fendus, des traits que j'aimerais moins s'ils étaient plus réguliers Nous restons seuls: pour débuter, je me prosterne et j'embrasse l'idole. Foutre! quelle timidité! Sûrement, en voilà la preuve Quand j'ai bien peur, je me jette à corps perdu tout au milieu du danger. Mais Julie doit se fâcher? Oui, si elle en avait le temps Et puis, Julie est franche, sa pudeur répugne sans doute à mes caresses; mais elle est bien aise de les recevoir. Enfin, après quelques petites façons, je reste en possession de ma place à ses genoux et de tous les petits larcins que me fournit le désordre d'une toilette et le dérangement d'un peignoir qui voile seul ses hémisphères enchanteurs, sur lesquels je n'ose encore voyager que des yeux.
Nos jours coulent ainsi pendant quelque temps dans la paix. J'avance en grade auprès de Julie. La tante me comble de bienfaits: cela veut dire que je les mérite. Enfin je me rends un samedi saint pour dîner. Ma chère tante m'annonce qu'elle est forcée de sortir et qu'elle ne reviendra qu'à huit heures et demie; qu'une assemblée de charité, un sermon, une quête et toute la simagrée sont pour elle d'une obligation indispensable (car, par contenance, la bonne dame place l'ordre dans le temple de Dagon). Je peste, je me fâche On se flatte d'un jour de bonheur On est cruellement abusé. La bonne dame me console avec attendrissement Eh bien! mon petit, ne te fâche pas; je m'arrangerai pour souper avec toi, et puis Hein? dis donc, petit fripon! Mais je ne veux pas que tu sortes. Julie restera avec toi, et vous ferez de la musique Mademoiselle, j'espère que vous ne laisserez pas ennuyer monsieur! Non, ma tante (et l'embarras et la rougeur). Moi, je fronce le sourcil; j'ai des affaires Bref, Mlle Macao est chargée très expressément de m'exécuter; la vieille part et nous laisse seuls, Julie et moi, dans le joli boudoir.
Puissances du ciel! Vous dont émane ce feu céleste qui nous élève au-dessus des mortels, vous vîtes mon bonheur! Curieux, indiscret ami, tu veux donc aussi pénétrer les mystères de Paphos? Eh bien! lis, dévore et branle-toi.
Tout favorisait mes feux; la beauté du jour, dont les rayons, amollis par une gaze diaphane, attendrissaient pour nous les objets; le printemps, son influence, l'innocence de Julie; mon expérience qui l'échauffe pour la détruire; des tableaux lascifs que je lui explique d'une manière plus lascive encore; des voeux prononcés à ses pieds, reçus par sa tendresse Les désirs nous animent l'un et l'autre; un tact assuré, et qui ne me trompa jamais, redouble ma hardiesse; déjà la bouche de Julie est en proie à ma bouche qui la presse; son sein trop soulevé s'irrite contre les rubans qui le retiennent Noeuds odieux, disparaissez! Des larmes coulent de ses yeux, je les sèche par mes baisers; mon haleine s'embrase; le feu de nos coeurs s'exhale et se répand dans nos poitrines brûlantes; nos âmes se confondent J'entreprends davantage; les bras de Julie ne semblent me repousser que pour m'attirer mieux; déjà elle ne se défend plus, son oeil se ferme à demi, sa paupière vacillante se fixe à peine Que de trésors je découvre et je parcours! arrête! téméraire! s'écrie la tendre Julie Cher amant! Dieu je je meurs Et la parole expire sur ses lèvres roses L'heure sonne à Cythère; l'amour a secoué son flambeau dans les airs; je vole sur ses ailes, je combats, les cieux s'ouvrent J'ai vaincu O Vénus! couvre-nous de la ceinture des grâces!
Peindrai-je ces extases voluptueuses où l'âme semble jouir du repos, alors même qu'elle se répand davantage au dehors! Non, non, de telles délices ne s'expriment pas.