Жорж Санд - Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9) стр 2.

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On voit, d'après ces petites scènes d'intérieur, qu'il y avait autour de mes deux mères, des gens qui leur redisaient tout, et qui envenimaient leurs dissentimens. Mon pauvre cœur d'enfant commençait à être ballotté par leur rivalité. Objet d'une jalousie et d'une lutte perpétuelles, il était impossible que je ne fusse pas la proie de quelque prévention, comme j'étais la victime des douleurs que je causais.

Dès que je fus en état de sortir, ma grand'mère m'enveloppa soigneusement, me prit avec elle dans une voiture et me conduisit chez ma mère où je n'avais pas encore été depuis mon retour à Paris. Je crois qu'elle demeurait alors rue Duphot, si je ne me trompe. L'appartement était petit, sombre et bas, pauvrement meublé, et le pot-au-feu bouillait dans la cheminée du salon. Tout était fort propre, mais ne sentait ni la richesse ni la prodigalité. On a tant reproché à ma mère d'avoir mis du désordre dans la vie de mon père et de lui avoir fait faire des dettes, que je suis bien aise de la retrouver dans tous mes souvenirs, économe, presque avare pour elle-même.

La première personne qui vint nous ouvrir fut Caroline; elle me parut jolie comme un ange, malgré son petit nez retroussé. Elle était plus grande que moi relativement à nos âges respectifs; elle avait la peau moins brune, les traits plus délicats, et une expression de finesse un peu froide et railleuse. Elle soutint avec aplomb la rencontre de ma grand'mère, elle se sentait chez elle; elle m'embrassa avec transport, me fit mille caresses, mille questions, avança tranquillement et fièrement un fauteuil à ma bonne maman en lui disant: «Asseyez-vous, madame Dupin, je vais faire appeler maman qui est chez la voisine.» Puis, ayant averti la portière qui faisait leurs commissions, car elles n'avaient pas de servante, elle revint s'asseoir auprès du feu, me prit sur ses genoux, et se remit à me questionner et à me caresser, sans s'occuper davantage de la grande dame qui lui avait fait un si cruel affront.

Ma bonne maman avait certainement préparé quelque bonne et digne parole à dire à cette enfant pour la rassurer et la consoler, car elle s'était attendue à la trouver timide, effrayée ou boudeuse, et à soutenir une scène de larmes ou de reproches. Mais, voyant qu'il n'y avait rien de ce qu'elle avait prévu, elle éprouva, je crois, un peu d'étonnement et de malaise, car je remarquai qu'elle prenait beaucoup de tabac prise sur prise.

Ma mère arriva au bout d'un instant. Elle m'embrassa passionnément, et salua ma grand'mère avec un regard sec et enflammé. Celle-ci vit bien qu'il fallait aller au devant de l'orage.  Ma fille, dit-elle avec beaucoup de calme et de dignité, sans doute quand vous avez envoyé Caroline chez moi, vous aviez mal compris mes intentions à l'égard des relations qui doivent exister entre elle et Aurore. Je n'ai jamais eu la pensée de contrarier ma petite-fille dans ses affections. Je ne m'opposerai jamais à ce qu'elle vienne vous voir et à ce qu'elle voie Caroline chez vous. Faisons donc en sorte, ma fille, qu'il n'y ait plus de malentendu à cet égard.»

Il était impossible de s'en tirer plus sagement et avec plus d'adresse et de justice. Elle n'avait pas été toujours aussi équitable dans cette affaire. Il est bien certain qu'elle n'avait pas voulu consentir, dans le principe, à ce que je visse Caroline, même chez ma mère, et que ma mère avait été forcée de s'engager à ne me point amener chez elle dans nos promenades, engagement qu'elle avait fidèlement observé. Il est bien certain aussi qu'en voyant dans mon cœur plus de mémoire et d'attachement qu'elle ne pensait, ma bonne maman avait renoncé à une résolution impossible et mauvaise. Mais, cette concession faite, elle conservait son droit de ne pas admettre chez elle une personne dont la présence lui était désagréable. Son explication adroite et nette coupait court à toute récrimination: ma mère le sentit et son courroux tomba. «A la bonne heure, maman,» dit-elle, et elles parlèrent à dessein, d'autre chose. Ma mère était entrée avec une tempête dans l'âme, et, comme de coutume, elle était étonnée, devant la fermeté souple et polie de sa belle-mère, d'avoir à plier ses voiles et à rentrer au port.

Au bout de quelques instans, ma grand'mère se leva pour continuer ses visites, priant ma mère de me garder jusqu'à ce qu'elle vînt me reprendre: c'était une concession et une délicatesse de plus, pour bien montrer qu'elle ne prétendait pas gêner et surveiller nos épanchemens. Pierret arriva à temps pour lui offrir son bras jusqu'à la voiture. Ma grand'mère avait de la déférence pour lui, à cause du grand dévoûment qu'il avait témoigné à mon père. Elle lui faisait très bon accueil, et Pierret n'était pas de ceux qui excitaient ma mère contre elle. Bien au contraire, il n'était occupé qu'à la calmer et à l'engager à vivre dans de bons rapports avec sa belle-mère. Mais il rendait à celle-ci de très rares visites. C'était pour lui trop de contrainte que de rester une demi-heure sans allumer son cigare, sans faire de grimaces et sans proférer à chaque phrase son jurement favori: sac à papier!

Quelle joie ce fut pour moi que de nous retrouver dans ce qui me semblait ma seule, ma véritable famille! Que ma mère me semblait bonne, ma sœur aimable, mon ami Pierret drôle et complaisant! Et ce petit appartement si pauvre et si laid en comparaison des salons ouatés de ma grand'mère (c'est ainsi que je les appelais par dérision), devint pour moi en un instant la terre promise de mes rêves. Je l'explorais dans tous les coins, je regardais avec amour les moindres objets, la petite pendule en albâtre, les vases de fleurs en papier, jaunies sous leur cylindre de verre, les pelottes que Caroline avait brodées en chenille, à sa pension, et jusqu'à la chaufferette de ma mère, ce meuble prolétaire banni des habitudes élégantes, ancien trépied de mes premières improvisations dans la rue Grange-Batelière. Comme j'aimais tout cela! Je ne me lassais pas de dire: «Je suis ici chez nous. Là-bas, je suis chez ma bonne maman. Sac à papier! disait Pierret, qu'elle n'aille pas dire chez nous devant Mme Dupin: elle nous reprocherait de lui apprendre à parler comme aux z-halles.» Et Pierret de rire aux éclats, car il riait volontiers de tout, et ma mère de se moquer de lui, et moi de crier: Comme on s'amuse chez nous!

Caroline me faisait des pigeons avec ses doigts; ou, avec un bout de fil que nous passions et croisions dans les doigts l'une de l'autre, elle m'apprenait toutes ces figures et ces combinaisons de lignes que les enfans appellent le lit, le bateau, les ciseaux, la scie, etc. Les belles poupées et les beaux livres d'images de ma bonne maman ne me paraissaient plus rien auprès de ces jeux qui me rappelaient mon enfance; car, encore enfant, j'avais déjà une enfance, un passé derrière moi, des souvenirs, des regrets, une existence accomplie et qui ne devait pas m'être rendue.

La faim me prit. Il n'y avait chez nous ni gâteaux ni confitures, mais le classique pot-au-feu pour toute nourriture: mon goûter passa en un instant de la cheminée sur la table. Avec quel plaisir je retrouvai mon assiette de terre de pipe! Jamais je ne mangeai de meilleur cœur. J'étais comme un voyageur qui rentre chez lui après de longues tribulations, et qui jouit de tout dans son petit ménage.

Ma grand'mère revint me chercher; mon cœur se serra, mais je compris que je ne devais pas abuser de sa générosité. Je la suivis en riant avec des yeux pleins de larmes.

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