Жорж Санд - Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9) стр 16.

Шрифт
Фон

A sept ou huit ans, je sus à peu près ma langue. C'était trop tôt, car on me fit passer tout de suite à d'autres études, et on négligea de me faire repasser la grammaire. On me fit beaucoup griffonner; on s'occupa de mon style, et on ne m'avertit qu'incidemment des incorrections qui se glissaient peu à peu dans mon langage, à mesure que j'étais entraînée par la facilité de m'exprimer par écrit. Au couvent, il fut entendu que je savais assez de français pour qu'on ne me fît point suivre les leçons des classes; et, en effet, je me tirai fort bien à l'épreuve des faciles devoirs distribués aux élèves de mon âge; mais, plus tard, quand je me livrai à mon propre style, je fus souvent embarrassée. Je dirai comment, au sortir du couvent, je rappris moi-même le français, et comment, douze ans plus tard, lorsque je voulus écrire pour le public, je m'aperçus que je ne savais encore rien; comment je fis une nouvelle étude, qui, trop tardive, ne me servit guère, ce qui est cause que j'apprends encore ma langue en la pratiquant, et que je crains de ne la savoir jamais: la pureté, la correction seraient pourtant un besoin de mon esprit, aujourd'hui surtout, et ce n'est jamais par négligence ni par distraction que je pèche, c'est par ignorance réelle.

Le malheur vint de ce que Deschartres, partageant le préjugé qui préside à l'éducation des hommes, s'imagina que, pour me perfectionner dans la connaissance de ma langue, il lui fallait m'enseigner le latin. J'apprenais très volontiers tout ce qu'on voulait, et j'avalai le rudiment avec résignation. Mais le français, le latin et le grec qu'on apprend aux enfans prennent trop de temps: soit qu'on les enseigne par de mauvais procédés, ou que ce soient les langues les plus difficiles du monde, ou encore que l'étude d'une langue quelconque soit ce qu'il y a de plus long et de plus difficile pour les enfans: toujours est-il qu'à moins de facultés toutes spéciales, on sort du collége sans savoir ni le latin, ni le français, et le grec encore moins. Quant à moi, le temps que je perdis à ne pas apprendre le latin fit beaucoup de tort à celui que j'aurais pu employer à apprendre le français, dans cet âge où l'on apprend mieux que dans tout autre.

Heureusement je cessai le latin d'assez bonne heure, ce qui fait que, sachant mal le français, je le sais encore mieux que la plupart des hommes de mon temps. Je ne parle pas ici des littérateurs, que je soupçonne fort de n'avoir pas pris leur forme et leur style au collége, mais du grand nombre des hommes qui ont parfait leurs études classiques sans songer depuis à faire de la langue une étude spéciale. Si on veut bien le remarquer, on s'apercevra qu'ils ne peuvent écrire une lettre de trois pages sans qu'il s'y rencontre une faute de langage ou d'orthographe. On remarquera aussi que les femmes de vingt à trente ans, qui ont reçu un peu d'éducation, écrivent le français généralement mieux que les hommes, ce qui tient, selon moi, à ce qu'elles n'ont pas perdu huit ou dix ans de leur vie à essayer d'apprendre les langues mortes.

Tout cela est pour dire que j'ai toujours trouvé déplorable le système adopté pour l'instruction des garçons, et je ne suis pas seule de cet avis. J'entends dire à tous les hommes qu'ils ont perdu leur temps et l'amour de l'étude au collége. Ceux qui y ont profité sont des exceptions. N'est-il donc pas possible d'établir un système où les intelligences ordinaires ne seraient pas sacrifiées aux besoins des intelligences d'élite?

CHAPITRE CINQUIEME

Tyrannie et faiblesse de Deschartres.  Le menuet de Fischer.  Le livre magique.  Nous évoquons le diable.  Le chercheur de tendresse.  Les premières amours de mon frère.  Pauline.  M. Gogault et M. Loubens.  Les talens d'agrément. Le maréchal Maison.  L'appartement de la rue Thiroux.  Grande tristesse à 7 ans, en prévision du mariage.  Départ de l'armée pour la campagne de Russie.  Nohant.  Ursule et ses sœurs.  Effet du jeu sur moi.  Mes vieux amis.  Système de guerre du czar Alexandre.  Moscou.

Nous prenions nos leçons dans la chambre de Deschartres, chambre tenue très proprement à coup sûr, mais où régnait une odeur de savonnette à la lavande qui avait fini par me devenir nauséabonde. Mes leçons, à moi, n'étaient pas longues; mais celles de mon pauvre frère duraient toute l'après-midi, parce qu'il était condamné à étudier pour son compte, et à préparer son devoir sous les yeux du pédagogue. Il est vrai que, quand on ne le gardait pas à vue, il n'ouvrait pas seulement son livre. Il s'enfuyait à travers champs, et on ne le voyait plus de la journée. Dieu avait certainement créé et mis au monde cet enfant impétueux pour faire faire pénitence à Deschartres; mais Deschartres, tyran par nature, ne prenait pas ses escapades en esprit de mortification. Il le rendait horriblement malheureux, et il fallut que l'enfant fût de bronze pour ne pas éclater sous cette dure contrainte.

Ce n'était pas le latin qui faisait son martyre, on ne le lui enseignait pas; c'étaient les mathématiques, pour lesquelles il avait montré de l'aptitude, et il en avait véritablement. Il ne haïssait pas l'étude en elle-même, mais il préférait le mouvement et la gaîté dont il avait un impérieux besoin. Deschartres lui enseignait aussi la musique. Le flageolet étant son instrument favori, Hippolyte dut l'apprendre bon gré mal gré; on lui fit emplette d'un flageolet en buis, et Deschartres, armé de son flageolet d'ébène monté en ivoire, lui en appliquait de violens coups sur les doigts à chaque fausse note. Il y a un certain menuet de Fischer qui aurait dû laisser des calus sur les mains de l'élève infortuné. Cela était d'autant plus coupable de la part de Deschartres que, quelque irrité qu'il fût, il pouvait toujours se vaincre jusqu'à un certain point avec les personnes qu'il aimait. Il n'avait jamais brutalisé l'enfance de mon père, et jamais il ne s'emporta contre moi jusqu'à un essai de voie de fait, qu'une seule fois en sa vie. Il avait donc une sorte d'aversion pour Hippolyte, à cause des mauvais tours et des moqueries de celui-ci, et pourtant il lui portait, à cause de mon père, un véritable intérêt. Rien ne l'obligeait à l'instruire, et il s'y employait avec une obstination qui n'était pas de la vengeance, car il eût été vite dégoûté d'une satisfaction que son élève lui faisait payer si cher. Il s'était imposé cette tâche en conscience; mais il est bien vrai de dire qu'à l'occasion le ressentiment y trouvait son compte.

Quand j'allais prendre mes leçons auprès d'Hippolyte, accoudé sur sa table et jouant aux mouches quand on ne le regardait pas, Ursule était toujours là. Deschartres aimait cette petite fille pleine d'assurance qui lui tenait tête et lui répliquait fort à propos. Comme tous les hommes violens, Deschartres aimait parfois la résistance ouverte et devenait débonnaire, faible même avec ceux qui ne le craignaient pas. Le tort d'Hippolyte et son malheur était de ne lui jamais dire en face qu'il était injuste et cruel. S'il l'eût menacé une seule fois de se plaindre à ma grand'mère ou de quitter la maison, Deschartres eût certainement fait un retour sur lui-même; mais l'enfant le craignait, le haïssait et ne se consolait que par la vengeance.

Il est certain qu'il y était ingénieux et qu'il avait un esprit diabolique pour observer et relever les ridicules. Souvent, au milieu de la leçon, Deschartres était appelé dans la maison ou dans la cour de la ferme par quelque détail de son exploitation. Ces absences étaient mises à profit pour se moquer de lui. Hippolyte prenait le flageolet d'ébène et singeait le professeur avec un rare talent d'imitation. Il n'y avait rien de plus ridicule, en effet, que Deschartres jouant du flageolet. Cet instrument champêtre était déjà ridicule par lui-même dans les mains d'un personnage si solennel et au milieu d'un visage si refrogné d'habitude. En outre, il le maniait avec une extrême prétention, arrondissant les doigts avec grâce, dandinant son gros corps et pinçant la lèvre supérieure avec une affectation qui lui donnait la plus plaisante figure du monde. C'était dans le menuet de Fischer surtout qu'il déployait tous ses moyens, et Hippolyte savait très bien par cœur ce morceau qu'il ne pouvait venir à bout de lire proprement quand la musique écrite et la figure menaçante de Deschartres étaient devant ses yeux; mais à force de le contrefaire, il l'avait appris malgré lui, et je crois qu'il ne fit jamais d'autre étude musicale que celle-là.

Ваша оценка очень важна

0
Шрифт
Фон

Помогите Вашим друзьям узнать о библиотеке

Скачать книгу

Если нет возможности читать онлайн, скачайте книгу файлом для электронной книжки и читайте офлайн.

fb2.zip txt txt.zip rtf.zip a4.pdf a6.pdf mobi.prc epub ios.epub fb3

Популярные книги автора