Жорж Санд - Lélia стр 4.

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Vous insensible! vous impie! oh! cela ne se peut pas! Mais dites-moi, au nom du ciel, que devient donc, à ces heures terribles, cette âme, cette grande âme, où la poésie ruisselle, où lenthousiasme déborde, et dont le feu nous gagne et nous entraîne au delà de tout ce que nous avions senti? A quoi songiez-vous hier, quaviez-vous fait de vous-même, quand vous étiez là, muette et glacée dans le temple, debout comme le pharisien, mesurant Dieu sans trembler, sourde aux saints cantiques, insensible à lencens, aux fleurs effeuillées, aux soupirs de lorgue, à toute la poésie du saint lieu? Et comme elle était belle, pourtant, cette église imprégnée dhumides parfums, palpitante dharmonies sacrées! Comme la flamme des lampes dargent sexhalait blanche et mate dans les nuages dopale du benjoin embrasé, tandis que les cassolettes de vermeil envoyaient à la voûte les gracieuses spirales dune fumée odorante! Comme les lames dor du tabernacle senlevaient légères et rayonnantes sous le reflet des cierges! Et quand le prêtre, ce grand et beau prêtre irlandais, dont les cheveux sont si noirs, dont la taille est si majestueuse, le regard si austère et la parole si sonore, descendit lentement les degrés de lautel, traînant sur les tapis son long manteau de velours; quand il éleva sa grande voix, triste et pénétrante comme les vents qui soufflent dans sa patrie; quand il nous dit, en nous présentant lostensoir étincelant, ce mot si puissant dans sa bouche: Adoremus! alors, Lélia, je me sentis pénétré dune sainte frayeur, et, me jetant à genoux sur le marbre, je frappai ma poitrine et je baissai les yeux.

Mais votre pensée est si intimement liée dans mon âme à toutes les grandes pensées, que je me retournai presque aussitôt vers vous pour partager avec vous cette émotion délicieuse, ou peut-être, que Dieu maintenant me le pardonne, pour vous adresser la moitié de ces humbles adorations.

Mais vous, vous étiez debout! vous navez pas plié le genou; vous navez pas baissé les yeux! Votre regard superbe sest promené froid et scrutateur sur le prêtre, sur lhostie, sur la foule prosternée: rien de tout cela ne vous a parlé. Seule, toute seule parmi nous tous, vous avez refusé votre prière au Seigneur. Seriez-vous donc une puissance au-dessus de lui?

Eh bien, Lélia, que Dieu me le pardonne encore! pendant un moment je lai cru et jai failli lui retirer mon hommage pour vous loffrir. Je me suis laissé éblouir et subjuguer par la puissance qui était en vous. Hélas! il faut lavouer, je ne vous vis jamais si belle. Pâle comme une des statues de marbre blanc qui veillent auprès des tombeaux, vous naviez plus rien de terrestre. Vos yeux brillaient dun feu sombre; et votre vaste front, dont vous aviez écarté vos cheveux noirs, sélevait, sublime dorgueil et de génie, au-dessus de la foule, au-dessus du prêtre, au-dessus de Dieu même. Cette profondeur dimpiété était effrayante, et, à vous voir ainsi toiser du regard lespace qui est entre nous et le ciel, tout ce qui était là se sentait petit. Milton vous avait-il vue quand il fit si noble et si beau le front foudroyé de son ange rebelle?

Faut-il vous dire toutes mes terreurs? Il ma semblé quà linstant où le prêtre debout, élevant le symbole de la foi sur nos têtes inclinées, vous vit devant lui, debout comme lui, seule avec lui au-dessus de tous; oui, il ma semblé qualors son regard profond et sévère, rencontrant votre impassible regard, sest baissé malgré lui. Il ma semblé que ce prêtre pâlissait, que sa main tremblante ne pouvait plus soutenir le calice, et que sa voix séteignait dans sa poitrine. Est-ce là un rêve de mon imagination troublée, ou bien en effet lindignation a-t-elle suffoqué le ministre du Très-Haut lorsquil vous a vue ainsi résister à lordre émané de sa bouche? Ou bien, tourmenté comme moi par une étrange hallucination, a-t-il cru voir en vous quelque chose de surnaturel, une puissance évoquée du sein de labîme, ou une révélation envoyée du ciel?

III

Que timporte cela, jeune poëte? Pourquoi veux-tu savoir qui je suis et doù je viens?.. Je suis née comme toi dans la vallée des larmes, et tous les malheureux qui rampent sur la terre sont mes frères. Est-elle donc si grande, cette terre quune pensée embrasse, et dont une hirondelle fait le tour dans lespace de quelques journées? Que peut-il y avoir détrange et de mystérieux dans une existence humaine? Quelle si grande influence supposez-vous à un rayon de soleil plus ou moins vertical sur nos têtes? Allez! ce monde tout entier est bien loin de lui; il est bien froid, bien pâle, et bien étroit. Demandez au vent combien il lui faut dheures pour le bouleverser dun pôle à lautre.

Fussé-je née à lautre extrémité, il y aurait encore peu de différence entre toi et moi. Tous deux condamnés à souffrir, tous deux faibles, incomplets, blessés par toutes nos jouissances, toujours inquiets, avides dun bonheur sans nom, toujours hors de nous, voilà notre destinée commune, voilà ce qui fait que nous sommes frères et compagnons sur la terre dexil et de servitude.

Vous demandez si je suis un être dune autre nature que vous! Croyez-vous que je ne souffre pas? Jai vu des hommes plus malheureux que moi par leur condition, qui létaient beaucoup moins par leur caractère. Tous les hommes nont pas la faculté de souffrir au même degré. Aux yeux du grand artisan de nos misères, ces variétés dorganisation sont bien peu de chose sans doute. Pour nous dont la vue est si bornée, nous passons la moitié de notre vie à nous examiner les uns les autres, et à tenir note des nuances que subit linfortune en se révélant à nous. Tout cela quest-ce devant Dieu? Ce quest devant nous la différence entre les brins dherbe de la prairie.

Cest pourquoi je ne prie pas Dieu. Que lui demanderais-je? Quil change ma destinée? Il se rirait de moi. Quil me donne la force de lutter contre mes douleurs? Il la mise en moi, cest à moi de men servir.

Vous demandez si jadore lesprit du mal! Lesprit du mal et lesprit du bien, cest un seul esprit, cest Dieu; cest la volonté inconnue et mystérieuse qui est au-dessus de nos volontés. Le bien et le mal, ce sont des distinctions que nous avons créées. Dieu ne les connaît pas plus que le bonheur et linfortune. Ne demandez donc ni au ciel ni à lenfer le secret de ma destinée. Cest à vous que je pourrais reprocher de me jeter sans cesse au-dessus et au-dessous de moi-même. Poëte, ne cherchez pas en moi ces profonds mystères; mon âme est sœur de la vôtre, vous la contristez, vous leffrayez en la sondant ainsi. Prenez-la pour ce quelle est, pour une âme qui souffre et qui attend. Si vous linterrogez si sévèrement, elle se repliera sur elle-même, et nosera plus souvrir à vous.

IV

Lâpreté de mes sollicitudes pour vous, je lai trop franchement exprimée; Lélia; jai blessé la sublime pudeur de votre âme. Cest quaussi, Lélia, je suis bien malheureux! Vous croyez que je porte sur vous lœil curieux dun philosophe, et vous vous trompez. Si je ne sentais pas que je vous appartiens, que désormais mon existence est invinciblement liée à la vôtre, si en un mot je ne vous aimais pas avec passion, je naurais pas laudace de vous interroger.

Ainsi ces doutes, ces inquiétudes que jai osé vous dire, tous ceux qui vous ont vue les partagent. Ils se demandent avec étonnement si vous êtes une existence maudite ou privilégiée, sil faut vous aimer ou vous craindre, vous accueillir ou vous repousser; le grossier vulgaire même perd son insouciance pour soccuper de vous. Il ne comprend pas lexpression de vos traits ni le son de votre voix, et, à entendre les contes absurdes dont vous êtes lobjet, on voit que ce peuple est également prêt à se mettre à deux genoux sur votre passage, ou à vous conjurer comme un fléau. Les intelligences plus élevées vous observent attentivement, les unes par curiosité, les autres par sympathie; mais aucune ne se fait comme moi une question de vie et de mort de la solution du problème; moi seul jai le droit dêtre audacieux et de vous demander qui vous êtes; car, je le sens intimement, et cette sensation est liée à celle de mon existence: je fais désormais partie de vous, vous vous êtes emparée de moi, à votre insu peut-être, mais enfin me voilà asservi, je ne mappartiens plus, mon âme ne peut plus vivre en elle-même. Dieu et la poésie ne lui suffisent plus; Dieu et la poésie, cest vous désormais, et sans vous il ny a plus de poésie, il ny a plus de Dieu, il ny a plus rien.

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