Жорж Санд - La Daniella, Vol. I стр 5.

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 Enfin, tu as du temps de reste pour l'atelier?

 Peu, mais j'en ai. Mon apprentissage durera plus longtemps que si j'avais toutes mes heures disponibles; mais il est possible maintenant; tandis que, sans cette ressource de mon violon, il ne l'était pas du tout. J'aurais pu, il est vrai, disposer de mon capital, sauf à n'avoir pas un morceau de pain et pas de talent dans trois ou quatre ans d'ici; mais, si je parlais à mon oncle de lui retirer la gestion de cette belle fortune, il me donnerait sa malédiction et me croirait perdu. J'aurai donc de l'ordre bon gré mal gré; c'est-à-dire que je me contenterai de manger mon superbe revenu. Donc, tout est bien ainsi. L'état que je fais ne m'ennuie pas trop. Je râcle mon violon tous les soirs comme une machine bien graissée, tout en pensant à autre chose. Je suis l'amant d'une petite comparse assez jolie, bête comme une oie et tant à fait dépourvue de coeur. C'est si facile d'avoir affaire à des femmes de cette espèce, que je ne m'inquiète pas d'être trahi ou abandonné par celle-là. J'en retrouverais, le lendemain une autre, qui ne vaudrait ni plus ni moins. Ma vie est occupée, et, si elle est un peu assujettie, je m'en console en me disant que je travaille pour conquérir ma liberté. C'est quelquefois un peu pénible, et il n'est pas bien certain que je n'eusse pas pris le chemin le plus sûr et le plus court en m'établissant dans mon village, et en épousant quelque belle dindonnière qui m'eût doucement abruti, en me faisant porter des habits rapiécés et des marmots à joues pendantes. Mais j'ai voulu vivre par l'esprit et je n'ai pas le droit de me plaindre.

Je fis un voyage, et, au bout de deux ans, je retrouvai Jean Valreg à Paris dans une situation analogue. Il s'était lassé de l'orchestre; mais il avait trouvé des écritures à faire chez lui, le soir, et des leçons de musique à donner dans une pension, deux fois par semaine, il gagnait donc toujours une centaine de francs par mois, et continuait à étudier la peinture. Il était toujours mis avec une propreté scrupuleuse et un certain goût. Il avait toujours ces excellentes manières et cet air de parfaite distinction qu'il avait pris on ne sait où, dans sa propre nature apparemment; mais il était plus pâle qu'autrefois et paraissait plus mélancolique.

 Voyons, lui dis-je, tu m'as écrit plusieurs lettres pour me demander de mes nouvelles, et je t'en remercie, mais sans jamais me parler de toi, et je m'en plains. Tu me dis aujourd'hui que tu as réussi à te maintenir dans ton travail, dans tes idées et dans ta conduite. Mais tu as quelque chose comme vingt-trois ans, et, avec cette persévérance dont tu viens de faire preuve, tu dois avoir acquis quelque talent. Il faut que j'aille chez toi voir ta peinture.

 Non, non! s'écria-t-il, pas encore! Je n'ai aucun talent, aucune individualité; j'ai voulu procéder logiquement et me munir, avant tout, d'un certain savoir. Je tiens maintenant le nécessaire, et je vais essayer de me trouver, de me découvrir moi-même. Mais, pour cela, il faut une toute autre vie que celle que je mène, et qui est horrible, je ne vous le cacherai plus; si horrible pour moi, si antipathique à ma nature, si contraire à ma santé, que, sachant votre amitié pour moi, je n'ai pas voulu vous écrire l'état de souffrance où, depuis deux ans, mon coeur et mon âme sont plongés. Je pars, je vais passer un mois chez mon oncle et ensuite un ou deux ans en Italie.

 Ah! ah! tu as donc le préjugé de l'Italie, toi? Tu crois que l'on y devient artiste plus qu'ailleurs?

 Non, je n'ai pas ce préjugé-là. On ne devient artiste nulle part quand on ne doit pas l'être; mais on m'a tant parlé du ciel de Rome, que je veux m'y réchauffer de l'humidité de Paris, où je tourne au champignon. Et puis, Rome, c'est le monde ancien qu'il faut connaître; c'est la voie de l'humanité dans le passé; c'est comme un vieux livre qu'il faut avoir lu pour comprendre l'histoire de l'art; et vous savez que je suis logique. Il est possible qu'après cela je retourne dans mon village épouser la dindonnière, accessible à tout propriétaire de ma mince étoffe. Je dois donc me maintenir dans ce milieu: faire tout mon possible pour devenir un homme distingué, et en même temps, tout mon possible pour accepter sans fiel et sans abattement le plus humble rôle dans la vie. Rester dans cet équilibre ne me coûte pas trop, car je suis tiraillé alternativement par deux tendances très-opposées: soif d'idéal et soif de repos. Je vais voir laquelle l'emportera, et, quoi qu'il arrive, je vous en ferai part.

 Attends un peu, lui dis-je comme il prenait son chapeau pour s'en aller. Si tu échouais dans la peinture, ne tenterais-tu pas quelque autre carrière? La musique

 Oh! non. Jamais la musique! Pour l'aimer, il faudra que je l'oublie longtemps; mais, plutôt que d'en vivre, j'aimerais mieux mourir: je vous ai dit pourquoi.

 Il faut pourtant que tu sois artiste, puisque tu as la haine des choses positives, et que tu n'as pas fait d'études classiques. Il m'est venu une idée en lisant tes lettres, c'est que tu pourrais bien avoir quelque talent de rédaction.

 Être homme de lettres! moi? Non! je n'ai fait qu'entrevoir et deviner le monde et la vie sociale. Rédiger n'est pas écrire, il faut penser, et je suis un homme de rêverie ou un homme d'action; je ne suis pas un homme de réflexion. Je conclus trop vite, et, d'ailleurs, je ne sais conclure que par rapport à moi-même. La littérature doit être l'enseignement direct ou indirect d'un idéal. Songez donc que je n'ai pas trouvé le mien!

 N'importe! veux-tu me faire une promesse sérieuse?

 Vous avez le droit d'exiger tout ce qui dépend de ma volonté!

 Eh bien, tu feras pour moi, pour moi seul, si tu veux, car je te promets le secret, si tu l'exiges, une relation détaillée de ton voyage, de tes impressions, quelles qu'elles soient, et même de tes aventures, s'il t'arrive des aventures. Et cela pendant un an, sans lacune de plus de huit jours.

 Je vois pourquoi vous me demandez cela. Vous voulez me forcer à m'examiner dans le détail de la vie et à me rendre compte de ma propre existence.

 Précisément. Je trouve que, sous l'empire de certaines résolutions prises à des intervalles assez éloignés et rigidement observées, tu oublies de vivre, et tu restes dans une attente perpétuelle qui te prive des petits bonheurs de la jeunesse. En te rendant mieux compte de tes vrais besoins et de tes légitimes aspirations, ta arriveras insensiblement à des formules plus sages.

 Vous me trouvez donc fou?

 C'est l'être toujours que de ne l'être jamais un peu.

 Je ferai ce que vous m'ordonnerez. Cela me sera peut-être bon; mais, si, à force de caresser mes propres pensées, j'allais devenir plus fou que vous ne souhaitez?

 Je t'indique à la fois l'excitant et le calmant: la réflexion!

Je lui offris de faciliter son voyage par cette assistance de père à enfant qu'il pouvait accepter de moi. Il refusa, m'embrassa et partit.

Huit jours après, je reçus de lui une assez longue lettre, qui était comme la préface de son journal, et que je transcrirai presque littéralement, ainsi que la suite de ce travail sur lui même, auquel je l'avais décidé à se livrer.

III

JOURNAL DE JEAN VALREG

Commune de Mers, 10 février 183*

Me voici à mon poste, je commence: non pas encore une relation de ce qui m'arrive, car je suis bien sûr qu'ici rien ne m'arrivera qui mérite d'être rapporté, mais un résumé de certaines choses de ma vie que je n'ai pas su vous dire quand vous me les demandiez.

D'abord, vous vouliez savoir pourquoi, n'ayant jamais été rudoyé ou maltraité en aucune façon, j'avais ce caractère réservé, cette aversion à parler de moi aux autres, cette difficulté à m'occuper moi-même de moi-même. Je n'en savais rien. Je m'en rends peut-être compte maintenant.

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