Жорж Санд - Pauline стр 3.

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La voyageuse éprouva une émotion à la fois douce et déchirante en montant l'escalier en vis auquel une corde luisante servait de rampe. Cette maison lui rappelait les plus fraîches années de sa vie, les plus pures scènes de sa jeunesse; mais, en comparant ces témoins de son passé au luxe de son existence présente, elle ne pouvait s'empêcher de plaindre Pauline, condamnée à végéter là comme la mousse verdâtre qui se traînait sur les murs humides.

Elle monta sans bruit et poussa la porte, qui roula sur ses gonds en silence. Rien n'était changé dans la grande pièce, décorée par les hôtes du titré de salon. Le carreau de briques rougeâtres bien lavées, les boiseries brunes soigneusement dégagées de poussière, la glace dont le cadre avait été doré jadis, les meubles massifs brodés au petit point par quelque aïeule de la famille, et deux ou trois tableaux de dévotion légués par l'oncle, curé de la ville, tout était précisément resté à la même place et dans le même état de vétusté robuste depuis dix ans, dix ans pendant lesquels l'étrangère avait vécu des siècles! Aussi tout ce qu'elle voyait la frappait comme un rêve.

La salle, vaste et basse, offrait à l'oeil une profondeur terne qui n'était pourtant pas sans charme. Il y avait, dans le vague de la perspective, de l'austérité et de la méditation, comme dans ces tableaux de Rembrandt où l'on ne distingue, sur le clair-obscur, qu'une vieille figure de philosophe ou d'alchimiste brune et terreuse comme les murs, terne et maladive comme le rayon habilement ménagé où elle nage. Une fenêtre à carreaux étroits et montés en plomb, ornée de pots de basilic et de géranium, éclairait seule cette vaste pièce; mais une suave figure se dessinait dans la lumière de l'embrasure, et semblait placée là, comme à dessein, pour ressortir seule et par sa propre beauté dans le tableau: c'était Pauline.

Elle était bien changée, et, comme la voyageuse ne pouvait voir son visage, elle douta longtemps que ce fût elle. Elle avait laissé Pauline plus petite de toute la tête, et maintenant Pauline était grande et d'une ténuité si excessive qu'on eût dit qu'elle allait se briser en changeant d'attitude; elle était vêtue de brun, avec une petite collerette d'un blanc scrupuleux et d'une égalité de plis vraiment monastique. Ses beaux cheveux châtains étaient lissés sur ses tempes avec un soin affecté; elle se livrait à un ouvrage classique, ennuyeux, odieux à toute organisation pensante: elle faisait de très-petits points réguliers avec une aiguille imperceptible sur un morceau de batiste dont elle comptait la trame fil par fil. La vie de la grande moitié des femmes se consume, en France, à cette solennelle occupation.

Quand la voyageuse eut fait quelques pas, elle distingua, dans la clarté de la fenêtre, les lignes brillantes du beau profil de Pauline: ses traits réguliers et calmes, ses grands yeux voilés et nonchalants, son front pur et uni, plutôt découvert qu'élevé, sa bouche délicate qui semblait incapable de sourire. Elle était toujours admirablement belle et jolie! mais elle était maigre et d'une pâleur uniforme, qu'on pouvait regarder comme passée à l'état chronique. Dans le premier instant, son ancienne amie fut tentée de la plaindre; mais, en admirant la sérénité profonde de ce front mélancolique doucement penché sur son ouvrage, elle se sentit pénétrée de respect bien plus que de pitié.

Elle resta donc immobile et muette à la regarder; mais, comme si sa présence se fût révélée à Pauline par un mouvement instinctif du coeur, celle-ci se tourna tout à coup vers elle et la regarda fixement sans dire un mot et sans changer de visage.

 Pauline! ne me reconnais-tu pas? s'écria l'étrangère; as-tu oublié la figure de Laurence?

Alors Pauline jeta un cri, se leva, et retomba sans force sur un siège. Laurence était déjà dans ses bras, et toutes deux pleuraient.

 Tu ne me reconnaissais pas? dit enfin Laurence.

 Oh! que dis-tu là! répondit Pauline. Je te reconnaissais bien, mais je n'étais pas étonnée. Tu ne sais pas une chose, Laurence? C'est que les personnes qui vivent dans la solitude ont parfois d'étranges idées. Comment te dirai-je? Ce sont des souvenirs, des images qui se logent dans leur esprit, et qui semblent passer devant leurs yeux. Ma mère appelle cela des visions. Moi, je sais bien que je ne suis pas folle; mais je pense que Dieu permet souvent, pour me consoler dans mon isolement, que les personnes que j'aime m'apparaissent tout à coup au milieu de mes rêveries. Va, bien souvent je t'ai vue là devant cette porte, debout comme tu étais tout à l'heure, et me regardant d'un air indécis. J'avais coutume de ne rien dire et de ne pas bouger, pour que l'apparition ne s'envolât pas. Je n'ai été surprise que quand je t'ai entendue parler. Oh! alors ta voix m'a réveillée! elle est venue me frapper jusqu'au coeur! Chère Laurence! c'est donc toi vraiment! dis-moi bien que c'est toi!

Quand Laurence eut timidement exprimé à son amie la crainte qui l'avait empêchée depuis plusieurs années de lui donner des marques de son souvenir, Pauline l'embrassa en pleurant.

 Oh mon Dieu! dit-elle, tu as cru que je te méprisais, que je rougissais de toi! moi qui t'ai conservé toujours une si haute estime, moi qui savais si bien que dans aucune situation de la vie il n'était possible à une âme comme la tienne de s'égarer!

Laurence rougit et pâlit en écoutant ces paroles; elle renferma un soupir, et baisa la main de Pauline avec un sentiment de vénération.

 Il est bien vrai, reprit Pauline, que ta condition présente révolte les opinions étroites et intolérantes de toutes les personnes que je vois. Une seule porte dans sa sévérité un reste d'affection et de regret: c'est ma mère. Elle te blâme, il faut bien t'attendre à cela; mais elle cherche à t'excuser, et l'on voit qu'elle lance sur toi l'anathème avec douleur. Son esprit, n'est pas éclairé, tu le sais; mais son coeur est bon, pauvre femme!

 Comment ferai-je donc pour me faire accueillir? demanda Laurence.

 Hélas! répondit Pauline, il serait bien facile de la tromper; elle est aveugle.

 Aveugle! ah! mon Dieu!

Laurence resta accablée à cette nouvelle; et, songeant à l'affreuse existence de Pauline, elle la regardait fixement, avec l'expression d'une compassion profonde et pourtant comprimée par le respect. Pauline la comprit, et, lui pressant la main avec tendresse, elle lui dit avec une naïveté touchante:

 Il y a du bien dans tous les maux que Dieu nous envoie. J'ai failli me marier il y a cinq ans; un an après, ma mère a perdu la vue. Vois, comme il est heureux que je sois restée fille pour la soigner! si j'avais été mariée, qui sait si je l'aurais pu?

Laurence, pénétrée d'admiration, sentit ses yeux se remplir de larmes.

 Il est évident, dit-elle en souriant à son amie à travers ses pleurs, que tu aurais été distraite par mille autres soins également sacrés, et qu'elle eût été plus à plaindre qu'elle ne l'est.

 Je l'entends remuer, dit Pauline; et elle passa vivement, mais avec assez d'adresse pour ne pas faire le moindre bruit, dans la chambre voisine.

Laurence la suivit sur la pointe du pied, et vit la vieille femme aveugle étendue sur son lit en forme de corbillard. Elle était jaune et luisante. Ses yeux hagards et sans vie lui donnaient absolument l'aspect d'un cadavre. Laurence recula, saisie d'une terreur involontaire. Pauline s'approcha de sa mère, pencha doucement son visage vers ce visage affreux, et lui demanda bien bas si elle dormait. L'aveugle ne répondit rien, et se tourna vers la ruelle du lit. Pauline arrangea ses couvertures avec soin sur ses membres étiques, referma doucement le rideau, et reconduisit son amie dans le salon.

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