Oui, oui, à moi, madame; mais continuez, je vous en prie.
Notre bonne supérieure ne peut faire qu'une seule chose pour nous, mais cette chose est immense: c'est de nous ouvrir la porte de ce couvent.
C'est beaucoup, en effet.
Malheureusement, de l'autre côté de cette porte, son pouvoir cesse complètement, et elle est contrainte de nous abandonner à nous-mêmes.
Hélas! Oui, fit la supérieure.
Hmm! murmura le peintre comme un écho.
Vous comprenez combien notre position serait critique, errant seules à l'aventure dans une ville qui nous est complètement inconnue.
Alors, vous avez songé à moi.
Oui, monsieur, répondit-elle simplement.
Et vous avez bien fait, madame, répondit le peintre en s'animant; je suis peut-être le seul homme incapable de vous trahir dans toute la ville.
Merci pour ma mère et pour moi, monsieur, murmura doucement la jeune fille qui, jusqu'à ce moment, avait gardé le silence.
Le peintre eut un éblouissement, les accents si suavement plaintifs de cette voix harmonieuse avaient fait tressaillir son cœur dans sa poitrine.
Malheureusement, je suis bien faible moi-même pour vous protéger, mesdames, reprit-il; je suis seul, étranger, suspect, plus que suspect même, puisque je suis menacé d'être mis prochainement en jugement.
Oh! firent-elles en joignant les mains avec douleur, nous sommes perdues alors.
Mon Dieu! s'écria l'abbesse, nous avons mis tout notre espoir en vous.
Attendez, reprit-il, tout n'est peut-être pas aussi désespéré que nous le supposons; de mon côté je prépare un plan d'évasion, je ne puis vous offrir qu'une chose.
Laquelle? s'écrièrent-elles vivement.
C'est de partager ma fuite.
Oh! De grand cœur, s'écria la jeune fille en frappant ses mains avec joie l'une contre l'autre.
Puis, honteuse de s'être ainsi laissé aller à un mouvement irréfléchi, elle baissa les yeux et cacha dans le sein de sa mère son charmant visage inondé de larmes.
Ma fille vous a répondu pour elle et pour moi, monsieur, dit noblement la marquise.
Je vous remercie de cette confiance dont je saurai me rendre digne, madame; seulement, il me faut quelques jours pour tout préparer; je n'ai avec moi qu'un homme auquel je puisse me fier, je dois agir avec la plus grande prudence.
C'est juste, monsieur, mais qu'entendez-vous par quelques jours?
Trois au moins, quatre au plus.
C'est bien, nous attendrons; maintenant pouvez-vous nous expliquer quel est le plan que vous avez adopté?
Je ne le connais pas moi-même, madame. Je me trouve dans un pays qui m'est totalement inconnu, et dans lequel je manque naturellement de la plus vulgaire expérience; je me laisse diriger par le serviteur dont j'ai eu l'honneur de vous parler.
Êtes-vous bien sûr de cet homme? monsieur; pardon de vous dire cela, mais vous le savez, un mot nous perdrait.
Je suis aussi sûr de la personne en question qu'un homme peut répondre d'un autre. C'est lui qui m'a fourni les moyens de me présenter devant vous sans éveiller les soupçons; je compte, non seulement sur son dévouement, mais encore sur sa finesse, sur son courage et surtout sur son expérience.
Est-ce un Espagnol, un étranger ou un métis?
Il n'appartient à aucune des catégories que vous avez citées, madame; c'est tout simplement un Indien guaranis auquel j'ai été assez heureux pour rendre quelques légers services, et qui m'a voué une reconnaissance éternelle.
Vous avez raison, monsieur; vous pouvez, en effet, compter sur cet homme; les Indiens sont braves et fidèles; lorsqu'ils se dévouent, c'est jusqu'à la mort. Pardonnez-moi toutes ces questions, qui, sans doute, doivent vous paraître assez extraordinaires de ma part, mais vous le savez, il ne s'agit pas de moi seulement dans cette affaire, il s'agit aussi de ma fille, de ma pauvre enfant chérie.
Je trouve fort naturel, madame, que vous désiriez être complètement édifiée sur mes projets pour notre commun salut; soyez bien persuadée que lorsque je saurai positivement ce qu'il faut faire, je me hâterai de vous en avertir, afin que si le plan formé par mon serviteur et par moi vous paraissait défectueux, je pusse le modifier d'après vos conseils.
Je vous remercie, monsieur. Me permettez-vous de vous adresser une question encore?
Parlez, madame. En venant ici, je me suis mis entièrement a vos ordres.
Êtes-vous riche?
Le peintre rougit; ses sourcils se froncèrent.
La marquise s'en aperçut.
Oh! Vous ne me comprenez pas, monsieur, s'écria-t-elle vivement; loin de moi la pensée de vous offrir une récompense. Le service que vous consentez à nous rendre est un de ceux que nul trésor ne saurait payer et que le cœur peut seul acquitter.
Madame, murmura-t-il.
Permettez-moi d'achever. Nous sommes associés maintenant, fit-elle avec un charmant sourire; or, dans une association, chacun doit prendre sa part des charges communes. Un projet comme le nôtre a besoin d'être conduit avec adresse et célérité, une misérable question d'argent peut en faire manquer la réussite ou en retarder l'exécution: voilà dans quel sens je vous ai parlé et pourquoi je vous répète ma phrase; Êtes-vous riche?
Dans toute autre position que celle où, le sort m'a momentanément placé, je vous répondrais: Oui, madame, parce que je suis artiste, que mes goûts sont simples et que je vis de presque rien, ne trouvant de joies et de bonheur que dans les surprises toujours nouvelles que me procure l'art que je cultive et que j'aime follement; mais en ce moment, dans la situation périlleuse où vous et moi nous nous trouvons, où il faut entreprendre une lutte désespérée contre toute une population, je dois être franc avec vous, vous avouer que l'argent, ce nerf de la guerre, me manque presque complètement; vous répondre, en un mot, que je suis pauvre.
Tant mieux fit la marquise avec un mouvement de joie.
Ma foi, reprit-il gaiement, je ne m'en suis jamais plaint, c'est aujourd'hui seulement que je commence à regretter cette richesse dont je me suis toujours si peu soucié, car elle m'aurait facilité les moyens de vous être utile; mais nous tâcherons de nous en passer.
Qu'à cela ne tienne, monsieur. Dans cette affaire, vous apportez le courage, le dévouement, laissez-moi vous apporter, cette richesse qui vous manque.
Ma foi, madame, répondit l'artiste, puisque vous posez aussi franchement la question, je ne vois pas pourquoi j'obéirais, en vous refusant, à une susceptibilité ridicule, parfaitement hors de saison, puisque ce sont surtout vos intérêts qui sont en jeu dans cette affaire; j'accepte donc l'argent dont vous jugerez convenable de disposer; bien entendu que je vous en tiendrai compte.
Pardon, monsieur, ce n'est pas un prêt que je prétends vous faire, c'est ma part que j'apporte à notre association, voilà tout.
Je l'entends ainsi, madame; seulement si je dépense votre argent, encore faut-il que vous sachiez de quelle façon.
A la bonne heure, fit la marquise en se dirigeant vers un meuble dont elle ouvrit un tiroir d'où elle retira une bourse assez longue, au travers des mailles de laquelle on voyait briller une quantité considérable d'onces.
Après avoir refermé avec soin le tiroir, elle présenta la bourse au jeune homme.
Il y a là deux cent cinquante once1 en or, dit-elle, j'espère que cette somme suffira; cependant, si elle était insuffisante, avertissez-moi, j'en mettrai immédiatement une plus forte encore à votre disposition.