Des que nous fumes de retour, j’envoyai, au nom du capitaine, quelques jambons aux lords de l’Amiraute, aux lords de l’Echiquier, au lord-maire et aux aldermen de Londres, aux clubs de commerce, et distribuai le surplus entre mes amis. Je recus de tous cotes les remerciements les plus chaleureux; la Cite me rendit mon amabilite en m’invitant au diner annuel qui se celebre lors de la nomination du lord-maire.
J’envoyai les peaux d’ours a l’imperatrice de Russie pour servir de pelisse d’hiver a Sa Majeste et a sa cour. Elle m’en remercia par une lettre autographe que m’apporta un ambassadeur extraordinaire, et ou elle me priait de venir partager sa couronne avec elle. Mais comme je n’ai jamais eu beaucoup de gout pour la souverainete, je repoussai, dans les termes les plus choisis, l’offre de Sa Majeste. L’ambassadeur qui m’avait apporte la lettre avait l’ordre d’attendre ma reponse pour la rapporter a sa souveraine. Une seconde lettre, que quelque temps apres je recus de l’imperatrice, me convainquit de l’elevation de son esprit et de la violence de sa passion. Sa derniere maladie, qui la surprit au moment ou – pauvre et tendre femme – elle s’entretenait avec le comte Dolgorouki, ne doit etre attribuee qu’a ma cruaute envers elle. Je ne sais pas quel effet je produisis aux dames, mais je dois dire que l’imperatrice de Russie n’est pas la seule de son sexe qui du haut de son trone m’ait offert sa main.
On a repandu le bruit que le capitaine Phipps n’etait pas alle aussi loin vers le Nord qu’il l’aurait pu: il est de mon devoir de le defendre sur ce point. Notre batiment etait en bon chemin d’atteindre le pole, lorsque je le chargeai d’une telle quantite de peaux d’ours et de jambons que c’eut ete folie d’essayer d’aller plus loin; nous n’eussions pas pu naviguer contre le plus leger vent contraire, et moins encore contre les glacons qui encombrent la mer a cette latitude.
Le capitaine a depuis declare bien souvent combien il regrettait de ne pas avoir pris part a cette glorieuse journee, qu’il avait emphatiquement surnommee la
Un de mes parents eloignes s’etait mis dans la tete qu’il devait absolument y avoir quelque part un peuple egal en grandeur a celui que Gulliver pretend avoir trouve dans le royaume de Brobdingnag. Il resolut de partir a la recherche de ce peuple, et me pria de l’accompagner. Pour ma part, j’avais toujours considere le recit de Gulliver comme un conte d’enfant, et je ne croyais pas plus a l’existence de Brobdingnag qu’a celle de l’Eldorado; mais comme cet estimable parent m’avait institue son legataire universel, vous comprenez que je lui devais des egards. Nous arrivames heureusement dans la mer du Sud, sans rien rencontrer qui merite d’etre rapporte, si ce n’est cependant quelques hommes et quelques femmes volants qui gambadaient et dansaient le menuet en l’air.
Le dix-huitieme jour apres que nous eumes depasse Otahiti, un ouragan enleva notre batiment a pres de mille lieues au-dessus de la mer, et nous maintint dans cette position pendant assez longtemps. Enfin un vent propice enfla nos voiles et nous emporta avec une rapidite extraordinaire. Nous voyagions depuis six semaines au-dessus des nuages lorsque nous decouvrimes une vaste terre, ronde et brillante, semblable a une ile etincelante. Nous entrames dans un excellent port, nous abordames et trouvames le pays habite. Tout autour de nous, nous voyions des villes, des arbres, des montagnes, des fleuves, des lacs, si bien que nous nous croyions revenus sur la terre que nous avions quittee.