était seule, Catherine respira à fond et sourit à sa sœur le plus naturellement du monde.
Où sont les parents ? Tu es toute seule ?
Veux-tu me dire d'où tu viens, et dans cet état ? articula enfin Loyse, revenue de sa surprise. Voilà des heures qu'on te cherche !
Désireuse, à la fois, de mesurer l'étendue des reproches qui l'attendaient, de faire le point de la situation et de masquer sous la conversation le léger grincement de la trappe, située dans l'atelier et que Landry devait ouvrir en ce moment pour faire descendre Michel dans sa cachette, la jeune fille répondit par une autre question, élevant un peu plus la voix.
Qui me cherche ? Papa ou Maman ?
Non. C'est Marion ! Je l'ai envoyée aux nouvelles. Père n'est pas encore revenu de la Maison- aux-Piliers, il ne rentrera peut-être pas de la nuit. Mère est allée chez dame Pigasse qui va mal. Pour qu'elle ne se soucie pas, Marion lui a dit que tu étais chez ton parrain.
Catherine soupira de soulagement en constatant que les choses allaient beaucoup moins mal qu'elle ne l'avait craint. Elle s'approcha du feu, tendit ses mains mouillées. Elle frissonnait dans ses vêtements trempés. Loyse se mit à bougonner.
Déshabille-toi au lieu de rester à grelotter. Regarde comment tu es faite. Ta robe est perdue et tu as l'air d'avoir traîné dans tous les ruisseaux de la ville.
Je suis seulement tombée dans un seul. Mais il pleut tellement !
J'ai voulu voir ce qui se passait, voilà tout, alors je me suis promenée...
Sans savoir pourquoi Catherine se mit à rire. Elle ne craignait pas Loyse qui était bonne et ne dirait rien de son escapade. Et puis c'était bon de rire, cela soulageait les nerfs trop tendus ! On aurait dit qu'il y avait des années qu'elle n'avait ri tant cela lui parut tout à coup nouveau et délassant. Tant de choses terribles étaient passées devant ses yeux au cours de cette journée... Elle se détourna et commença à dégrafer sa robe tandis que Loyse, toujours maugréant, ouvrait un coffre placé près de l'âtre pour en tirer une chemise propre et une robe de toile verte qu'elle tendit à sa sœur.
Tu sais très bien que je ne dirai rien pour ne pas te faire gronder mais ne recommence pas, Catherine. J'ai eu... très peur pour toi ! Il se passe aujourd'hui des choses si abominables !
L'angoisse de la jeune fille était réelle. Catherine éprouva soudain des remords. Loyse, ce soir, était plus pâle que de coutume et de larges cernes entouraient ses yeux bleus. Un petit pli triste marquait le coin de ses lèvres. Elle avait dû se tourmenter tout le jour à cause des menaces de Caboche. Spontanément Catherine lui sauta au cou et l'embrassa.
Je te demande pardon ! Je ne recommencerai pas !...-
Loyse lui sourit, sans rancune puis, prenant une mante épaisse, la jeta sur ses épaules :
Je vais jusque chez les Pigasse voir comment va dame Magdeleine. Les choses se présentaient mal tout à l'heure. En même temps je dirai à Maman que tu es rentrée... de chez ton parrain. Je n'en aurai pas pour longtemps. Mange un morceau et couche-toi...
Catherine eut envie de retenir Loyse encore un moment mais son oreille fine ne décelait plus aucun bruit suspect dans l'atelier. Landry avait eu largement le temps de faire descendre Michel, de refermer la trappe et de rentrer chez lui. Loyse s'en alla à son tour.
Restée seule, la petite courut à la huche, y tailla un bon morceau de pain, puis elle emplit une écuelle du ragoût qui mijotait et qui était du mouton au jau- net (safran). Puis elle chercha dans un coffre un pot de miel, emplit un pichet d'eau fraîche. Il fallait profiter de cette solitude inespérée pour donner à manger à Michel. Il aurait grand besoin de ses forces cette nuit.
L'idée qu'il était là, sous ses pieds, à quelques pas d'elle, emplissait Catherine d'une joie profonde. C'était un peu comme si le toit de la maison était devenu une sorte de génie tutélaire dont les ailes protectrices s'étendaient à la fois sur elle et sur le fugitif. Il n'était pas possible qu'il arrivât rien de mauvais à Michel tant qu'il resterait sous l'égide de « l'Arche d'Alliance ».
Un instant, devant le miroir pendu au mur de la cuisine, elle s'arrêta, considérant attentivement son visage étroit. Ce soir pour la première fois de sa vie,
clic aurait voulu être jolie, mais jolie comme ces filles que les escholiers suivaient dans les rues et accostaient avec de grands rires.
Avec un soupir, Catherine hocha la tête en tâtant son corsage qui se gonflait à peine. Ses chances de subjuguer Michel étaient minces !
Elle reprit son chargement et se dirigea vers le magasin.
L'atelier de Gaucher était vide et silencieux. Les établis étaient rangés le long des murs avec leurs escabeaux, les outils soigneusement
accrochés à des clous. Les grandes armoires, armées de ferronneries qui renfermaient les précieux objets orfévrés et que l'on ouvrait dans la journée pour exposer leur contenu aux clients étaient bien fermées. Seule la petite balance dont Gaucher se servait pour peser les pierres demeurait sur le comptoir. Les épais volets de chêne étaient mis. Et la porte par laquelle Loyse rentrerait tout à l'heure n'était que poussée.