Philippe se montre dur et méfiant. Il exige qu'elle devienne sur l'heure sa maîtresse et Catherine va s'exécuter, le désespoir au cœur. Mais, à son grand étonnement, elle demeure seule, toute la nuit, dans le grand lit ducal.
Philippe n'est revenu qu'au matin d'une fête donnée aux dames de la ville.
Il se montre tendre, empressé puis, en présence de Catherine et sans permettre qu'elle se lève, fait venir dans sa chambre Arnaud et Xaintrailles pour leur faire ses excuses. Catherine comprend qu'elle est prise au piège.
Arnaud l'a vue dans le lit même du duc et ne doutera plus de ses liens étroits avec le prince. Il s'éloigne plein de mépris, sans même tourner la tête. Pour Catherine tout est fini. Qu'importe même d'accorder à Philippe ce qu'il demande.
Ce soir, je te ferai chercher, a-t-il dit en la renvoyant à son logis.
Pourquoi pas ? Quittant le palais, Catherine rentre à la maison qu'elle partage, durant son séjour, avec son amie, la comtesse Ermengarde de Châteauvillain...
Il était bien près de midi lorsque Catherine regagna la maison du lainier dans une litière que Jacques de Roussay avait amenée devant l'escalier du palais communal. Fermée d'épais rideaux de cuir, cette litière avait mis la jeune femme à l'abri des curieux. En approchant de son logis, Catherine faisait des vœux pour qu'Ermengarde seule se trouvât dans la maison. Elle craignait les yeux aigus, si malveillants de la jeune Vaugrigneuse. Et surtout, elle aspirait à se retrouver seule avec son amie dont elle avait appris, peu à peu, à priser les conseils. La maison lui parut étrangement silencieuse. Dans le vestibule, elle croisa une servante qui portait un plat de choux fumants. La fille lui adressa une rapide révérence et un regard que Catherine jugea inquiet sans se donner la peine de chercher à comprendre pourquoi. Sans doute était-elle d'un naturel peureux et facilement impressionnable... Haussant les épaules, elle releva sa robe à deux mains et grimpa alertement l'escalier sombre et raide. Sur le petit palier de l'étage, un rayon de soleil traversait le vitrail d'une étroite fenêtre en ogive, répandant sur le dallage blanc une large tache écarlate, lumineuse, qui mettait comme une touche de vie dans tout ce silence. On percevait seulement, venant du rez-de-chaussée, où le lainier et sa famille devaient être à dîner, un vague murmure de conversations, mais à l'étage il n'y avait pas de bruit.
Persuadée qu'aucune des autres dames d'honneur n'était là, Catherine poussa le vantail de chêne qui fermait sa chambre et entra. La pièce, en effet, était vide à l'exception de Garin. Il se tenait debout devant la fenêtre face à la porte et les mains au dos.
Comment, vous étiez là ? fit Catherine surprise en s'avançant vers lui.
Elle lui avait souri, mais à mesure qu'elle approchait, son sourire s'effaçait. Jamais encore elle n'avait vu à son époux cette expression de rage.
Tous les traits de son visage en étaient bouleversés. Un tic nerveux relevait spasmodiquement le coin de ses lèvres au-dessous du bandeau noir. Pour la première fois, elle eut peur. Le visage de Garin avait quelque chose de démoniaque.
D'où venez-vous ? demanda-t-il.
Les paroles sifflaient entre ses dents serrées. Dans les plis de sa robe, Catherine ferma les poings pour lutter contre cette terreur insidieuse qui se glissait dans ses veines.
Je croyais que vous le saviez, fit-elle d'une voix claire. Je viens de chez le duc.
De chez le duc, vraiment ?
Catherine, pensant que l'assurance était encore la meilleure méthode pour affronter un homme en colère et forte, par ailleurs, de la vérité de ses paroles, riposta avec un léger haussement d'épaules impatient :
Demandez-le-lui. Vous verrez bien ce qu'il vous dira...
Elle se dirigeait vers le coffre où l'on rangeait ses coiffures pour y déposer le tambourin de velours qu'elle venait d'ôter de sa tête, tournant le dos à son époux, quand un cri de douleur lui échappa. Garin l'avait saisie par les cheveux et les tirait brutalement en arrière. Catherine tomba lourdement à terre aux pieds de Garin, protégeant instinctivement son visage de son bras replié. Lâchant les cheveux,
Garin saisit ce bras qu'il broya, si fort que Catherine cria de nouveau. Il penchait sur elle un visage empourpré de colère. Dans son autre main, Catherine, terrifiée, vit qu'il tenait un fouet à chiens.
De chez le duc ? Tu viens de chez le duc, petite traînée ! Comme si toute la cour ne t'avait pas vue entrer dans la tente de ce Montsalvy ?
Comme si Luxembourg ne t'avait pas trouvée presque dans ses bras ?...
Crois-tu que j'ignore que ce maudit Armagnac n'est pas rentré cette nuit à Guise ? Dans quel bouge es-tu allée te rouler avec lui, hein ? Tu ne le diras pas, bien sûr, mais moi je vais t'ôter l'envie de mentir, pour toute ta vie.
Il ne se possédait plus. Avant que Catherine, terrorisée, ait pu souffler un seul mot, le fouet s'abattait férocement sur son dos. Elle cria, se laissa choir complètement à terre, cachant sa tête sous ses bras repliés, se ramassant sur elle-même pour offrir moins de surface aux coups. Garin tapait comme un sourd, le fouet sifflait en l'air puis claquait sur le dos, les épaules ou les reins de Catherine. Elle ne criait plus, craignant d'exciter le furieux. Mais ce silence même parut porter la colère de Garin au paroxysme. Se penchant tout à coup sur la jeune femme prostrée, il saisit le haut de la robe, près de la nuque, tira un coup sec. La robe et la chemise se déchirèrent, dévoilant le dos et les reins de Catherine. Et le fouet siffla encore. Cette fois, il mordit la peau tendre si cruellement qu'elle se fendit. Catherine hurla, déchirée d'un trait de feu. Les coups maintenant pleuvaient comme grêle, sans que la colère de Garin tombât.