J'en étais là de mon examen, très-curieux de découvrir la suite de cette aventure, lorsque le patron de ma felouque entra brusquement dans ma chambre.Excellence , me dit-il, ne vous couchez pas, la lune se lève, le tems est beau, nous dînons demain à Tunis, si votre Excellence veut se dépêcher.
Trop occupé de mon amour, trop rempli du seul désir d'en retrouver l'objet, pour perdre à une aventure étrangère les momens destinés à Léonore, je laisse là ma belle évanouie, et vole au plutôt sur mon bâtiment: les rames gémissent; le tems fraîchit; la lune brille; les matelots chantent; et nous sommes bientôt loin de Malte.... Malheureux que j'étais! où ne nous entraîne pas la fatalité de notre étoile.... Ainsi que le chien infortuné de la fable, je laissais la proie pour courir après l'omble, j'allais m'exposer à mille nouveaux dangers pour découvrir celle que le hasard venait de mettre dans mes mains.
O grand Dieu! s'écria Madame de Blamont, quoi! Monsieur, la belle morte était votre Léonore?Oui, Madame, je lui laisse le soin de vous apprendre elle-même ce qui l'avait conduite là.... Permettez que je continue; peut-être verrez-vous encore la fortune ennemie se jouer de moi avec les mêmes caprices; peut-être me verrez-vous encore, toujours faible, toujours occupé de ma profonde douleur, fuir la prospérité qui luit un instant, pour voler où m'entraîne malgré moi la sévérité de mon sort.
Nous
commencions avec l'aurore à découvrir la terre; déjà le Cap Bon s'offrait à nos regards, quand un vent d'Est s'élevant avec fureur, nous permit à peine de friser la côte d'Afrique, et nous jeta avec une impétuosité sans égalé vers le détroit de Gibraltar; la légèreté de notre bâtiment le rendait avec tant de facilité la proie de la tempête, que nous ne fûmes pas quarante heures à nous trouver en travers du détroit. Peu accoutumés à de telles courses sur des barques si frêles, nos matelots se croyaient perdus; il n'était plus question de manoeuvres, nous ne pouvions que carguer à la hâte une mauvaise voile déjà toute déchirée, et nous abandonner à la volonté du Ciel, qui, s'embarrassant toujours assez peu du voeu des hommes, ne lés sacrifie pas moins, malgré leurs inutiles prières, à tout ce que lui inspire la bizarrerie de ses caprices. Nous passâmes ainsi le détroit, non sans risquer à chaque instant d'échouer contre l'une ou l'autre terre; semblables à ces débris que l'on voit, errants au hasard et tristes jouets des vagues, heurter chaque écueil tour-à-tour, si nous échappions au naufrage sur les côtes d'Afrique, ce n'était que pour le craindre encore plus sur les rives d'Espagne.
Le vent changea sitôt que nous eûmes débouqué le détroit; il nous rabattit sur la côte occidentale de Maroc, et cet empire étant un de ceux où j'aurais continué mes recherches, à supposer qu'elles se fussent trouvées infructueuses dans les autres États barbaresques, je résolus d'y prendre terre. Je n'avais pas besoin de le désirer, mon équipage était las de courir: le patron m'annonça dès que nous fûmes au port de Salé, qu'à moins que je ne voulusse revenir en Europe, il ne pouvait pas me servir plus long-tems; il m'objecta que sa felouque peu faite à quitter les ports d'Italie, n'était pas en état d'aller plus loin, et que j'eusse à le payer ou à me décider au retour.Au retour, m'écriai-je, eh! ne sais-tu donc pas que je préférerais la mort à la douleur de reparaître dans ma patrie sans avoir retrouvé celle que j'aime. Ce raisonnement fait pour un coeur sensible, eut peu d'accès sur l'âme d'un matelot, et le cher patron, sans en être ému, me signifia qu'en ce cas il fallait prendre congé l'un de l'autre.Que devenir! Était-ce en Barbarie où je devais espérer de trouver justice contre un marinier Vénitien? Tous ces gens-là, d'ailleurs, se tiennent d'un bout de l'Europe à l'autre: il fallut se soumettre, payer le patron, et s'en séparer.
Bien résolu de ne pas rendre ma course Inutile dans ce royaume, et d'y poursuivre au moins les recherches que j'avais projetées, je louai des mulets à Salé, et rendu à Mekinés, lieu de résidence de la Cour, je descendis chez le Consul de France: je lui exposai ma demande.Je vous plains, me répondit cet homme, dès qu'il m'eût entendu, et vous plains d'autant plus, que votre femme, fût-elle au sérail, il serait impossible, au roi de France même, de la découvrir; cependant, il n'est pas vraisemblable que ce malheur ait eu lieu: il est extrêmement rare que les corsaires de Maroc aillent aujourd'hui dans l'Adriatique; il y a peut-être plus de trente ans qu'ils n'y ont pris terre: les marchands qui fournissent le haram ne vont acheter des femmes qu'en Georgie; s'ils font quelques vols, c'est dans L'Archipel, parce que l'Empereur est très-porté pour les femmes grecques, et qu'il paie au poids de l'or tout ce qu'on lui amène au-dessous de 12 ans de ces contrées. Mais il fait très-peu de cas des autres Européennes, et je pourrais, continuait-il, vous assurer d'après cela presqu'aussi sûrement que si j'avais visité le sérail, que votre divinité n'y est point. Quoi qu'il en soit, allez vous vous reposer, je vous promets de faire des recherches; j'écrirai dans les ports de l'Empire, et peut-être au moins découvrirons-nous si elle a côtoyé ces parages.